La folle évolution du stockage informatique

Il y a quarante ans, s’offrir une disquette, sur laquelle on ne pouvait stocker qu’une image, était un luxe. Depuis, les choses ont bien changé. Films HD, MP3, photos, projets professionnels… Chaque jour, sans même y penser, nous produisons, et donc devons stocker une masse toujours plus grande de données. Pourtant, l’époque où l’on avait besoin de 12 disquettes pour lancer un logiciel sur un ordinateur Atari n’est pas si lointaine. Au fur et à mesure de l’évolution de nos ordinateurs fixes et l'arrivée des ordinateurs portables, puis de nos téléphones, il a fallu imaginer de nouveaux moyens pour compiler et retrouver toutes ces informations. A l’heure du big data, le stockage, d’abord analogique, puis numérique, s’est donc adapté. Selon la loi de Kryder, du nom d’un ingénieur américain, nous pouvons techniquement doubler la capacité de nos disques durs tous les treize mois, tout en en divisant par deux le coût. Toujours plus d’espace, toujours moins cher : en 1981, le coût de stockage d’un méga-­octet (à peine une chanson MP3) était d'environ 650 euros. En 1994, il passait sous la barre d'un euro. En 2013, 1 centime suffisait…

1890 : la carte perforée, une mémoire à 80 trous

Au début du 18ème siècle, le français Basile Bouchon eut l’idée de percer des rubans de tissu (puis de carton) pour automatiser son métier à tisser. Cent cinquante ans plus tard, Herman Hollerith, employé au United States Census Bureau, déposa le brevet d’une machine pour lire les trous de ces cartes et les transformer en données exploitables, puis l’utilisa en 1890 pour le recensement, qu’il traita en un an, contre dix précédemment. Herman Hollerith, ­persuadé qu’il venait de faire une découverte essentielle, lança sa propre société (IBM) et inventa la mécanographie, ancêtre de l’informatique.

1928 : 50 octets par centimètre de bande magnétique

La bande magnétique est l’une des plus anciennes ­méthodes de stockage et elle continue à être utilisée. Mise au point en 1928, elle permettait d’abord d’enregistrer du son et servait dès les ­années 1930 à capter des concerts, avant que l’image ne fasse son apparition. ­Rapidement, la bande ­magnétique fut ­miniaturisée et enroulée avant d’être intégrée dans des boîtiers : les cassettes, audio ou vidéo. Le format le plus utilisé fut la VHS, sur laquelle on pouvait réenregistrer à ­volonté, une révolution. Dans les années 1950, ce support fut aussi ­utilisé dans les ­premiers disques durs ­d’ordinateurs. Et s’il semble aujourd’hui en voie de disparition, il continue pourtant de servir, ­notamment grâce à son ­exceptionnelle résistance ­(environ trente ans de durée de vie) et à des capacités de stockage atteignant désormais les 5 téraoctets (soit 5 000 milliards d’octets). ­Ainsi, en 2011, quand Gmail a supprimé par mégarde des millions de boîtes mail, Google a pu en restaurer toutes les données, en les ­recherchant sur ces ­fameuses bandes magnétiques où était toujours enregistrée une copie. Pratique.

1971 : une image sur un disque grand comme une pizza

Alors que les entreprises s’équipaient d’ordinateurs individuels, il leur fallait trouver le moyen d’ajouter de nouveaux logiciels. IBM reprit alors le principe de la bande magnétique qu’il transforma en disque plat et intégra dans un support de la taille d’une petite pizza ! Souple et fragile, ce nouveau support n’était pas pratique à transporter et on ne pouvait y écrire qu’une centaine d’octets, soit un document de quelques pages ou une image de mauvaise qualité ! Et si le coût était relativement abordable, le lecteur, lui, était hors de prix : quasi celui d’un ordinateur. Au fil des ans, de nouveaux modèles apparurent, avec plus de capacités dans moins d’espace, comme la disquette 5,25 pouces (13 centimètres tout de même). On pouvait y enregistrer 360 ko (un livre) à ses débuts, jusqu’à 1,2 Mo au début des années 1980.

1982 : une disquette de la taille d'une poche de chemise

En 1984, Apple décide d’équiper ses ordinateurs Macintosh avec un lecteur de disquettes 3.5, inventé par Sony. Rapidement, ce format s’impose. Plus solides grâce à leur conditionnement rigide et avec un volet en métal pour protéger la partie magnétique, ces disquettes ont un autre avantage, apprécié des informaticiens : elles tiennent dans une poche de chemise, leurs mensurations ayant été prévues à cet effet. Avec une capacité initiale de 720 ko, la disquette passe ­rapidement à 1,44 Mo (un morceau MP3 de basse ­qualité ou une photo en HD en nécessite au moins le double). Surpris par le succès d’Apple, IBM et ses concurrents intègrent à leur tour ce nouveau format, et la ­disquette devient incontournable, jusqu’à ce qu’elle soit dépassée par de nouveaux formats. En mars 2011, Sony en arrête définitivement la production. Mais avoir conservé un lecteur à la ­maison peut encore servir : en avril 2014, Cory Arcangel, un fan d’Andy Warhol, a mis la main sur de vieilles ­disquettes contenant une ­dizaine d’images de l’artiste, sans doute les plus vieilles «œuvres d’art numérique» connues.

1984 : 80 minutes de musique sur les premiers CD-Rom

Si le CD audio a tué le vinyle en dix ans à peine, le CD-R fera de même avec la disquette. Philips et Sony, les deux leaders du marché ­musical, ont élaboré ­ensemble les standards de ce nouveau format. D’abord cantonné à l’enregistrement de bases de données, il se démocratisa dans les ­années 1990. Avec une capacité de 500 à 700 Mo, il permet ­d’enregistrer 80 minutes de musique ou une heure de vidéo, même si la qualité n’est pas au rendez-vous. En 1997, un nouveau format voit le jour : le CD-RW, qui permet de réécrire plus de 1 000 fois sur le même disque. Dès les années 2000, les lecteurs CD-R sont remplacés par des lecteurs-graveurs, et le grand public peut alors archiver le contenu de son ordinateur. En parallèle, le DVD (1995) puis le Blu-ray (en 2006, le disque de 50 Go contient 4 à 6 heures de film) permettront d’augmenter la capacité, et donc la qualité du contenu. Sony travaille ­maintenant sur son descendant, le Blu-­Violet-ray, qui pourrait contenir jusqu’à 1 téraoctet (To), soit la totalité des saisons d’une série ou 50 films en HD.

1994 : 70 disquettes compactées dans un seul disque Zip

Au milieu des années 1990, les logiciels étant de plus en plus lourds, les disquettes ne font plus le poids (il en faut une dizaine pour installer un programme et lancer un jeu). Iomega invente alors la disquette Zip, contenant l’équivalent de 70 disquettes classiques (4 albums MP3 ou 10 minutes de vidéo, une première pour le grand ­public). Elle est aussi deux fois plus rapide que la ­disquette et moins chère que le CD-R. Mais Iomega se heurte aux constructeurs, qui n’intègrent pas ses lecteurs. Seules quelques entreprises s’équipent alors d’un lecteur externe, avant que le Zip ne tombe dans l’oubli.

2000 : plus de 100 DVD sur les cartes les plus récentes

A la fin des années 1990, ­téléphones, appareils photo, Caméscope, consoles de jeux ou lecteurs MP3 ont besoin d’espaces de stockage fiables et de petite taille. Rapides et fonctionnant avec peu d’électricité, les cartes mémoire Flash (basées sur la technologie imaginée par Toshiba, qui permet d’enregistrer sans support magnétique) deviennent vite incontournables. Différents formats voient alors le jour, la CompactFlash étant la plus utilisée. Si les premières avaient des capacités de stockage limitées (1 Mo), mais suffisantes pour les appareils photo de l’époque, les nouvelles générations contiennent entre 8 et 16 Go. Certaines montent même jusqu’à 512 Go, soit de quoi sauvegarder l’équivalent de… plus de 100 DVD. Mais il faut y mettre le prix : 1 500 euros. C’est cher, mais ce n’est rien comparé à ce que c’était. En 1991, 1 Go de mémoire Flash coûtait environ 40 000 euros (un iPhone en nécessite 32 Go).

2000 : Deux ans de musique sur une clé USB

Utilisant la technologie Flash, IBM ­invente un outil qui tient dans la poche : la clé USB. Simple à utiliser, elle est solide et ne se raye pas, contrairement au CD. Début 2000, les premières étaient assez grosses, encore chères et ne contenaient que quelques mégaoctets. En 2007, on pouvait y mettre jusqu’à 16 Go (soit 3 DVD) ; 512 Go début 2013 ; 1 To trois mois plus tard. Mais un tel bijou, sur lequel on peut stocker deux ans d’écoute de morceaux MP3, a un prix : 1 050 euros. Pas très intéressant : un disque dur externe de même capacité (certes plus encombrant et un peu moins rapide) vaut moins de 100 euros. Mais les prix de la mémoire Flash ­restent élevés, la demande mondiale étant plus forte que la production.

2014 : dans le cloud, 1.000 milliards d'octets pour 7,2 euros

Au début des années 2000, Amazon avait un problème : en dehors des périodes de forte affluence, ses immenses serveurs informatiques étaient sous-utilisés. La solution ? Louer l’espace libre aux particuliers. Le "cloud" était né. Aujourd’hui tout le monde l’utilise, parfois sans même le savoir. La synchronisation des appareils Apple, les solutions d’entreprises d’IBM ou la ­possibilité de sauvegarder un ­document sur son PC et de le récupérer sur sa tablette en sont autant d’exemples. Nous ne stockons plus nos informations sur nos périphériques, mais nous les envoyons par Internet sur des serveurs à distance, afin de pouvoir les récupérer n’importe où. Les possibilités sont immenses : les entreprises peuvent se ­débarrasser de leurs encombrants et coûteux serveurs, et les particuliers n’ont plus peur que leur disque dur plante. On n’«achète» plus un logiciel informatique, mais on «loue» un programme, ses options et l’espace nécessaire pour stocker les informations. Les opérateurs se font la guerre et sont prêts à casser les prix. Face à ses concurrents (IBM, Apple, Amazon, ou encore le petit français OVH, l’un des moins chers du marché), Google a frappé fort et propose ainsi 100 Go de stockage à 1,50 euro par mois, ou 1 To à 7,20 euros (il y a seulement quelques mois, c’était le prix à payer pour 200 Go). Cette technologie, que certains n’hésitent pas à comparer à l’arrivée de l’électricité dans les usines, est toutefois dépendante de nos accès ­Internet : «Avec une connexion ADSL moyenne, il faut compter 100 jours pour envoyer 1 To de données, ­regrette Arnaud Bertrand, ­directeur de la division "cloud" chez Bull. Vivement la fibre !»